Polémique

Le livre”Aristote au Mont St Michel”  fait polémique dans “l’intellosphère”.  Le médiéviste Sylvain Gouguenheim y affirme que l’islam n’est pour rien dans l’intégratrion de la culture grecque dans l’occident chrétien. Culture grecque qui aurait préparé le terrain aux Lumières et permis le développement de la démocratie. La découverte d’un livre traduction d’Aristote au Mont St Michel suffit-il pour dire qu’il y avait une filière purement chrétienne de traduction du grec en latin qui  aurait courcircuité le passage “arabe”de la traduction ? On peut en douter. Ce dont on est sûr par contre, c’est que de nombreux textes grecs ont été traduits en arabe par des juifs et des syriens non arabes et chrétiens, ex-fonctionnaires de l'administration byzantine qui connaissaient le grec , le syriaque et l’arabe.
Le problème lié à la traduction est double pour le monde occidental. Le premier d'ordre technique : comment et par qui des textes traduits en arabe auraient été ensuite traduits en latin ? Par des juifs ? Horreur ! Par des moines lettrés revenus d'orient ? Ouf, nous sommes sauvés ! Le second d'ordre théologique : pourquoi l’occident romain aurait attendu aussi longtemps pour traduire les textes d’Aristote ? N’est-ce pas simplement parce que tout ce qui venait de l’orient chrétien et des Grecs était à rejeter par l’occident chrétien, pour ne pas  faire de l'ombre à la foi romaine  ou à la corrompre ?  Si pour le monde arabe, le mystère de la traduction des textes grecs n'existe pas,  le problème se pose pour leur influence idéologique sur la vie politique et sociale. Comme en occident, le problème fut d’ordre religieux. On peut dire qu’avec la fermeture de l’islam à partir du  XIIe siècle, les écrits d'Al Farabi (870-950), d'Avicenne (980-1037), d'Averroes ( 1126-1193) et d'Ibn Kaldhun (1332-1406) se trouvaient en dehors du courant dominant d’une culture arabe qui les a refusés puis rejetés. Al Ghazali, dans “L’incohérence des philosophes”, avait répliqué à Averroes. Pour les thélologiens musulmans “adopter le rationalisme, c’est faire profession d’athéisme”. Pour eux,  il n'y a pas de "double vérité", celle de la rationalité et celle de la foi, il n'y en a qu'une, celle du Créateur. Les traductions des textes grecs n’ont donc pas servi à grand chose en terre musulmane, sans quoi l’aristolitisme d’Averroes (1126-1198) aurait eu une influence sur la civilisation arabe.
Le livre de Gouguelheim est le pendant de ceux, nombreux, qui encensent peut-être trop rapidement, louent sans esprit critique la civilisation musulmane en général et la colonisation arabo-andalouse en particulier comme modèle de civilisation par la tolérance dont elle aurait fait preuve. Les adorateurs ou les contempteurs du monde musulman passent sous silence le rôle du monde byzantin, perse et indien dans ce proche-orient compliqué depuis toujours. Le temps est venu de faire, sans œillères idéologiques, la critique de l’idée communément admise que “sans la civilisation arabe, l’occident n’aurait jamais pu connaître l’éveil, le développement et le progrès qui ont mené à sa domination actuelle sur le monde entier”. Déjà, en 2004, l’intellectuel palestinien Saqr Abou Fakhr remettait en question cette idée répandue des deux côtés de la Méditerranée avec son article "Non l'occident ne doit rien aux Arabes" dans le supplément au n° 717 de Courrier International, sans que cela fasse un pataquès. Il avait dû passer inaperçu aux yeux intéressés des islamophobes patentés et des islamophiles intransigeants.
Pour conclure, je ne sais pas si nous devons la démocratie moderne aux lointains textes grecs traduits en arabe par des syriens ou directement en latin par des moines mais je sais que la civilisation occidentale a été portée sur le plan technique par trois innovations essentielles : l’imprimerie, la boussole, le gouvernail et la poudre, quatre techniques venues de Chine qui lui ont permis de s’imposer sur la planète. Alors, merci qui ?